NewsPeople

Winnie Mandela, l’égérie de la lutte anti apartheid

Co-auteure d’une biographie publiée en 2007, Sabine Cessou décrit l’héritage laissé par l’ex-épouse de « Madiba ».
Correspondante du quotidien Libération à Johannesburg de 1998 à 2003, Sabine Cessou a co-écrit avec Stephen Smith une biographie de référence de Winnie Mandela, parue en 2007 chez Calmann-Lévy*. Elle analyse ici pour L’Express l’héritage politique légué par l’ex-épouse de Nelson Mandela, décédée ce lundi à 81 ans.
Quelle trace laissera Winnie Mandela dans l’histoire tourmentée de l’Afrique du Sud ?
D’abord celle de l’une des égéries, sinon de l’égérie de la lutte contre l’apartheid. Ensuite, celle de la femme de Nelson Mandela. Enfin, son empreinte propre ; l’empreinte d’une combattante dans un pays où les femmes exercent un réel pouvoir. Pour les Sud-Africains, elle restera l’emblème de la longue souffrance infligée par un régime raciste qui a imposé son joug de 1948 à 1991. Années de jeunesse pour elle. Age adulte pour Nelson, de dix-huit ans son aîné. Une période durant laquelle l’Afrique du Sud s’enfonce dans la spirale de la violence, sur fond de durcissement des lois raciales.
Pour autant, une autre image de Winnie s’est imposée à l’extérieur, très différente de celle qui prévaut au pays. Rebelle indomptable ici ; femme déchue, frappé par la disgrâce là. Les médias du reste du monde ont amplement détaillé sa dérive, que symbolise l’assassinat en janvier 1989, de Stompie Moketsi [un militant de l’African National Congress de 14 ans soupçonné d’espionnage au profit du pouvoir blanc], tout comme ses démêlés avec la justice. De même on se souvient du demi-acte de contrition extorqué par Mgr Desmond Tutu au temps où celui-ci présidait la fameuse Commission Vérité et Réconciliation.
La vérité sur l’implication de Winnie dans un tel meurtre a-t-elle été factuellement établie ?
Sa responsabilité directe ne fait pas l’ombre d’un doute. Il suffit pour s’en convaincre de consulter le tome 4 du rapport de la Truth and Reconciliation Commission. Sa milice, le Mandela United Football Club, y est accusée de douze crimes, sans compter quatre cas de torture. On y apprend en outre que l’incendie de la maison de Nelson Mandela, survenu à Soweto dans les années 1980, n’est pas le fait du régime d’apartheid ou d’opposants de l’ANC, mais du voisinage de Winnie, qui en avait par-dessus la tête des exactions de ses gros bras.
Dans un entretien accordé en septembre à l’hebdomadaire Jeune Afrique, Winnie Mandela relègue le concept de « Nation arc-en-ciel » au rang d’ « illusion ». D’où vient ce dépit ?
Elle a toujours été une des voix les plus critiques au sein de l’ANC. D’emblée, dès 1994, elle manifeste son désaccord avec la stratégie de la négociation choisie par son époux. Winnie a toujours pensé que la lutte armée pouvait déboucher sur une victoire militaire claire et nette. Elle croyait au primat du rapport de force sur le dialogue.
Quelle est à cette époque son poids au sein de l’appareil ?
Winnie est alors une faiseuse de roi. Son titre de présidente de la Ligue des femmes de l’ANC lui confère une autorité considérable. Sans son appui, [le futur président] Thabo Mbeki n’aurait jamais pu intriguer pour ravir la vice-présidence promise à Cyril Ramaphosa. De même, elle favorisera tour à tour la montée en puissance de Jacob Zuma, puis l’essor du courant contestataire incarné par le dissident Julius Malema [ancien leader de la Ligue de la Jeunesse du parti].
En revanche, rien n’indique que Winnie ait pris part au processus d’éviction de Zuma [écarté récemment au profit de… Ramaphosa]. A ma connaissance, sa dernière sortie politique aura pris la forme d’une vidéo dans laquelle elle vitupère amèrement Desmond Tutu, coupable de l’avoir sommée de reconnaître, fût-ce à demi-mots, ses méfaits. « Je ne lui pardonnerai jamais », y insiste-t-elle.
La rupture avec « Madiba » -surnom affectueux de Nelson Mandela- est-elle intime ou politique ?
Les deux. La première survient dès 1961, quand lui décide, un an après le massacre de Sharpeville [69 manifestants noirs tués le 21 mars 1960], de basculer dans la clandestinité et la lutte armée. Et ce contre l’avis d’Albert Lutuli, alors président de l’ANC. Il quitte la maison en lui disant « A bientôt ». Mais elle, qui a deux bébés sur les bras, sait bien qu’elle ne le reverra plus vraiment. Bien sûr, ils se croiseront en secret. Mais si l’amour demeure intense, Winnie lui en veut de l’avoir ainsi abandonnée.
En 1984, lors des retrouvailles, Nelson, toujours captif, semble transporté de bonheur. Mais elle masque mal sa rancoeur. « Les meilleures années de notre vie, confie-t-elle alors à sa biographe, ont fondu comme neige au soleil. » Le divorce formel intervient bien plus tard, en 1996. Mandela s’y résout à contrecoeur, sous la pression de son entourage. Il ne peut agir autrement, tant il se sent comptable de la dégradation de l’image de son épouse. Impossible d’assumer davantage les frasques d’une compagne abimée par la détention et les tortures tant physiques que morales. N’oublions pas que Winnie survit à 34 ans à une crise cardiaque due selon toute vraisemblance aux mois d’isolement et de sévices subis.
La défunte aura-t-elle droit à des funérailles grandioses ?
Je vois mal comment les autorités la priveraient d’obsèques nationales. Il me paraît impensable de procéder autrement. Sauf à courir le risque de déclencher des émeutes massives. Car Winnie demeure, envers et contre tout, l’une des figures les plus populaires du pays, sinon du continent africain.
* Winnie Mandela, L’âme noire de l’Afrique du Sud, (Calmann-Lévy, 2007)

Source: lexpress.fr

Commentaires Facebook

0 commentaires

Afficher plus

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Bouton retour en haut de la page