A la unePeoplePortrait

Fidji Simo, vice-présidente chez Facebook à 31 ans

Cette fille de pêcheurs originaire de Sète a développé la publicité sur mobile à Menlo Park avant de prendre la tête des pôles vidéo et médias. C’est elle qui a créé Facebook Live.

On entend son rire à plusieurs mètres à la ronde. Dans l’immense open space de plus de 2.500 salariés construit par l’architecte Frank Gehry à Menlo Park, Fidji Simo n’a pas que le nom qui détonne. Au milieu d’un groupe d’ingénieurs masculins en baskets et « hoodies », elle se promène en talons aiguilles, un collier de pierres imposant posé sur un sous-pull noir à manches bouffantes. Avec ses cheveux noir de jais, son teint pâle et ses lèvres peintes en rouge, impossible de ne pas lui trouver un petit air de Morticia, la mère de la famille Addams.

A trente et un ans, la jeune Française fait partie des étoiles montantes de Facebook. En six ans, elle a gravi les échelons un à un pour diriger aujourd’hui deux des pôles les plus importants du réseau social _ les vidéos et les médias _ et vient d’être promue vice-présidente en début d’année. 350 personnes, dont une majorité d’ingénieurs, sont sous sa direction.

Quand Sheryl Sandberg, la numéro deux de l’entreprise et l’un de ses mentors, veut dénoncer les restrictions de visa pour les travailleurs étrangers envisagées par Donald Trump , elle évoque tout de suite Fidji Simo. « D’où vient-elle en France, déjà ? », demande-t-elle. « D’une petite ville qui s’appelle Sète », répond la directrice de la communication. Cela n’échappe pas aux Français qui la rencontrent : l’accent chantant est toujours là, même si son français est désormais peuplé d’anglicismes. Après une décennie aux Etats-Unis, quelques expressions du Sud (« la petitoune » !) font cependant de la résistance.

« C’était soit Fidji, soit Madagascar ! »

Rien ne prédestinait Fidji Simo à se retrouver au coeur d’une des entreprises les plus puissantes de la Silicon Valley. « J’ai été élevée dans une famille de pêcheurs espagnols, mon père travaillait sur un chalut », raconte-t-elle. C’est cet amour de la mer qui conduit ses parents à lui donner un nom d’île – « C’était soit Fidji, soit Madagascar ! », lui a toujours dit sa mère. Originaire d’Italie, celle-ci tient une boutique de prêt-à-porter dans le centre-ville de Sète.

Si ses deux parents sont très éloignés des nouvelles technologies, ils lui transmettent « un esprit entrepreneurial, l’idée de bosser très dur et de se battre pour avoir des opportunités », raconte Fidji Simo. Après le lycée, elle suit le parcours classique de la bonne élève : deux ans de classe préparatoire aux grandes écoles, qui débouchent sur une admission à HEC.

N’ayant pas eu beaucoup l’occasion de voyager dans son enfance, elle commence à rêver d’Amérique et obtient un échange universitaire de six mois à l’université de Californie à Los Angeles lors de sa dernière année en école de commerce. « Je suis tombée amoureuse du pays. J’ai été fascinée par la diversité de cultures et d’opinions, mais aussi par l’ambition sans complexe des Américains », raconte-t-elle.

De retour en France, elle n’a qu’une idée en tête : repartir de l’autre côté de l’Atlantique dès que possible. Pour son stage de fin d’études, elle choisit donc eBay, une entreprise californienne. Ce qui l’attire dans la tech ? « Très peu d’industries peuvent avoir un tel impact avec un seul produit », explique-t-elle. A la fin de son stage à Paris, elle obtient un premier poste à San Jose, au coeur de la Silicon Valley, pour s’occuper de la stratégie de la société d’e-commerce (fusions-acquisitions, positionnement de la marque…).

Au bout de trois ans chez eBay, elle décide de postuler chez Facebook, l’entreprise qu’elle rêve de rejoindre. « J’ai simplement envoyé une candidature spontanée sur le site Web du groupe », se remémore-t-elle. Elle est rappelée pour un poste en marketing, un domaine dans lequel elle n’a aucune expérience.

Pour déjouer les craintes de ses recruteurs, elle invente un nouveau produit et filme plusieurs séquences pour composer un « webinar ». « Quand je veux quelque chose, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour l’obtenir », raconte-t-elle.

Après avoir mis un pied dans la maison, Fidji Simo fait rapidement savoir qu’elle a envie de passer à la conception de produits, un domaine plus créatif qui correspond mieux à son tempérament – à ses heures perdues, elle peint des toiles et sculpte du bois dans sa maison de Mountain View, à une dizaine de kilomètres de Facebook.
Son absence de connaissances techniques n’est pas un frein : « Je ne sais pas coder mais, quand on est manageur produit, l’important n’est pas de connaître les détails sur la manière de bâtir l’architecture, mais de savoir poser les bonnes questions », assure-t-elle.

La transition se fait facilement dans une entreprise habituée au jeu des chaises musicales. D’abord chargée de simplifier la gamme des produits publicitaires existants, Fidji Simo se voit confier le développement de la publicité sur mobile au début de l’année 2013. Ce segment ne représente alors que 11 % des revenus publicitaires.

Elle affronte le scepticisme des annonceurs, qui estiment que l’écran des téléphones portables est trop petit, et réussit à faire grimper la part à près de la moitié des recettes en douze mois. Aujourd’hui, ce canal représente l’écrasante majorité des recettes publicitaires de l’entreprise – à tel point que ses dirigeants ont décidé de ne plus publier de chiffres séparés pour le mobile et le « desktop » à partir du prochain trimestre.

A la tête de la vidéo

Face à ses bons résultats, Mark Zuckerberg, le PDG de l’entreprise, lui confie la direction du pôle vidéo. A l’époque, le média est encore balbutiant : la majorité des vidéos partagées sur la plate-forme sont de simples liens en provenance de YouTube.

Pour promouvoir les quelques vidéos postées directement par les utilisateurs, Fidji Simo sort de son chapeau l’« autoplay », un format où les vidéos se déclenchent automatiquement dans le fil d’actualités, en septembre 2013. « C’est notre grosse valeur ajoutée : les utilisateurs découvrent de cette manière des contenus sur lesquels ils n’auraient pas forcément cliqué », plaide-t-elle. Trois mois plus tard, le format est proposé aux annonceurs souhaitant placer leurs publicités dans le « newsfeed ».

Avec un appétit d’ogre, Fidji Simo récupère ensuite sous son aile les produits médias. Ceux-ci comprennent les outils pour les organismes de presse mais aussi pour les célébrités. Facebook Live naît ainsi d’une discussion avec plusieurs stars qui ont pris l’habitude d’organiser des sessions de questions-réponses avec leurs fans sous la forme d’un statut suivi de commentaires, mais qui réclament de pouvoir le faire par le biais de vidéos en direct.

Le format est testé à partir d’août 2015 avec des musiciens et des acteurs. Face à son succès, Fidji Simo décide de rendre l’outil disponible pour tous les utilisateurs en avril 2016.
La société arrive un peu tard sur un terrain déjà encombré – un an plus tôt, Twitter a lancé Periscope et les adolescents sont nombreux à utiliser Snapchat pour raconter leur quotidien en vidéo. Mais Mark Zuckerberg, persuadé que ce mode de communication va supplanter l’écriture et les photos, est désormais déterminé à faire de la vidéo « le coeur de tous les services et applications » de Facebook.

L’équipe de Fidji Simo établit donc une stratégie en plusieurs étapes. D’abord, convaincre les utilisateurs lambda d’ouvrir la caméra au sein de Facebook et de faire comme cette mère texane qui s’est filmée en plein fou rire avec un masque de Chewbacca , l’un des personnages de Star Wars en mai dernier, récoltant 165 millions de vues.

A l’automne, la société lance une immense campagne de publicité dans les rues des villes américaines, invitant les internautes à se filmer en direct quand ils attendent leur bagage à l’aéroport ou font la queue pour un kebab. Résultat : le nombre de personnes faisant des live a été multiplié par quatre depuis avril – mais Facebook ne communique pas de chiffres plus précis.

Partenariats avec des médias

Pour continuer d’augmenter le temps passé sur la plate-forme, Fidji Simo se consacre aussi à muscler l’offre vidéo à travers des partenariats avec des médias. Plus d’une centaine répondent à l’appel, attirés par un gros chèque et par l’audience du réseau social – presque 2 milliards d’utilisateurs se connectent chaque mois, selon des chiffres publiés début février. Il est ainsi possible aujourd’hui de suivre les Jeux Olympiques, l’investiture de Donald Trump ou le dernier meeting de Benoît Hamon sans quitter Facebook.

Fidji Simo repense ensuite la manière de consommer ces vidéos – jusqu’ici, le visionnage se faisait au hasard du « scroll » sur le fil d’actualités. Mais, depuis décembre, un onglet rassemblant les contenus vidéo en fonction des pages aimées est placé au centre des icônes de l’application mobile, concurrençant fortement YouTube.

Prochaine étape : la création de contenus originaux – la société proposera bientôt des formats courts, a annoncé Mark Zuckerberg lors des résultats trimestriels début février . Le grand défi reste cependant de trouver un « business model » permettant de rémunérer les créateurs de contenus.
Depuis trois mois, la société teste des publicités de quinze secondes au milieu de certains live. Une véritable menace pour les chaînes de télévision mais aussi pour les services de streaming comme Netflix ou Amazon. Mark Zuckerberg lorgne leur gâteau publicitaire, qui est plus substantiel que celui de la publicité en ligne (35 % du total contre 5 %).

Pour faire face à cette montagne de projets – Fidji Simo gère également la lutte contre la propagation des « fake news » sur la plate-forme -, la jeune femme a un allié de poids : son mari. Cet ingénieur, qu’elle a rencontré sur les bancs du lycée « Paul Val » de Sète à l’âge de seize ans, a choisi de mettre sa carrière entre parenthèses pour s’occuper à plein temps de leur fille Willow, depuis sa naissance, il y a un an et demi.

Comme son mentor Sheryl Sandberg, Fidji Simo est persuadée que le choix du « bon » compagnon est essentiel pour les femmes souhaitant faire carrière.
Reprenant de nombreux éléments de langage de l’auteur de « Lean In », elle tente de promouvoir un leadership infusé de valeurs « féminines » : « Montrer sa vulnérabilité renforce la capacité à diriger dans certains cas », estime-t-elle. Alitée pendant cinq mois pendant sa grossesse, Fidji Simo a ainsi présenté toute la stratégie vidéo de l’entreprise à Mark Zuckerberg en vidéoconférence, depuis son lit. « Comme Cléopâtre, sauf que j’étais grosse », résume-t-elle dans un grand éclat de rire.

@AnaisMoutot / lesechos.fr

Commentaires Facebook

0 commentaires

Afficher plus

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Bouton retour en haut de la page