Peut-on être féministe et travailler pour une marque de cosmétiques ? Les transgenres peuvent-ils avoir l’expérience du féminin ? A ces questions, Chimanmnda Ngozi Adichie répond sans langue de bois, au risque de heurter.
« Si je mets du rouge à lèvres, suis-je soumise ? » Chimanmnda Ngozi Adichie, écrivaine nigériane et féministe militante doit sans cesse se justifier depuis qu’elle est devenue l’égérie d’une marque de cosmétiques. Trahison? Pas si vite.
Le maquillage est-il un signe de soumission ? Le titre est de Libération. L’article concerne l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, choisie pour devenir l’égérie de la marque de cosmétique Boots. En d’autres termes, si je me mets du rouge à lèvres, suis-je en train de me plier à la tyrannie de la séduction, aux impératifs de la perfection, aux attentes de l’ordre social?
No make up
Si Libération pose la question ainsi, c’est qu’elle tourmente la romancière nigériane, militante féministe et inspiratrice de la chanson «Flawless» de Beyoncé, hymne au girl power. Souvent interrogée sur cette apparente contradiction, elle ne cesse de se justifier, surtout depuis que le mouvement No make up, porté par des stars comme Adele ou Cameron Diaz, s’affiche comme une nouvelle manière de se sentir belle, sans peur et sans entrave. Alicia Keys, la plus radicale, l’a même chanté: « le matin, depuis la première minute où tu te lèves/Que se passerait-il si je ne voulais plus mettre tout ce maquillage/Qui a dit que je devais cacher ce dont je suis faite/Peut-être que tout ce Maybelline est juste en train de couvrir mon estime de moi.»
Se battre en talons
Question anodine? Non, elle est au cœur du débat récurrent sur le droit des femmes à disposer de leur corps. Elle marque d’ailleurs la frontière entre les féministes d’origine qui se sont rebellées contre le «Sois belle et tais-toi», jugeant tous ces artifices comparables à une prison, et les post-féministes qui estiment qu’une femme (plus généralement tout être humain quel que soit son sexe ou ses orientations) a le droit de faire ce qu’elle veut, à condition qu’elle le décide. Les premières voulaient s’affranchir des codes du genre, les secondes les récupèrent pour jouer avec, ou les combiner. C’est l’argument de Chimamanda Ngozi Adichie qui dit être heureuse dans le débat d’idées tout en aimant porter des talons.
Se soumettre, mais à quoi?
Quand je n’ai pas d’avis arrêté sur une question, j’aime bien procéder par retournement symétrique. Existe-t-il une question équivalente à poser aux hommes? Se raser, est-ce un signe de soumission? S’acheter une Tesla, s’offrir une Rolex à 50 ans ou attendre fébrilement le dernier smartphone, est-ce se soumettre? Bizarrement, cela ne marche pas de la même manière. Il manque un complément d’objet. Se soumettre à qui et à quoi?
Pour les femmes, rien n’est précisé: le verbe ne décrit pas une action, mais un état, comme si la soumission était dans notre nature et qu’on savait forcément à qui ou à quoi elle faisait référence. Comme si on l’avait tellement bien intégrée qu’il fallait tout justifier.
Le problème n’est pas le rouge à lèvres, le fond de teint ou le rimmel, mais la culpabilité vendue avec. Ça, c’est sûr, je n’achèterai jamais !
Chimamanda Ngozi Adachie plaide également « non coupable » au sujet de la polémique provoquée par ses propos sur les transgenres.
« Les femmes transgenres sont-elles des femmes à part entière ? » demande Cathy Newman, journaliste britannique, à Chimamanda Ngozi Adachie, le 10 mars 2017, au cours d’une interview sur Channel 4.
« Je pense que les femmes transgenres sont des femmes transgenres » estime l’écrivaine.
« Si vous avez vécu, un temps, dans le monde en tant qu’homme avec les privilèges que le monde accorde aux hommes, puis, changé de genre pour devenir une femme, il m’apparaît difficile d’assimiler votre expérience au parcours d’une femme née femme. Elle, n’a jamais bénéficié des privilèges destinés aux hommes. »
La réponse de Chimamanda Ngozi Adichie a déclenché une multitude de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux et dans la presse outre atlantique. Certains l’accusent de contribuer à une « hégémonie cisgenre », l’idée d’une société où votre sexe de naissance définit votre identité. Malgré sa phrase dans la même interview : « Le genre n’est pas conditionné pas la biologie (le sexe de naissance), mais par l’expérience. »
Un sentiment de trahison
Dans le Los Angeles Times, Michael Schaub a écrit : « elle a énervé » la communauté transgenre.
Des tweets ont accusé l’auteure de se rapprocher des « Féministes Radicales Exclusives des Trans » « Trans-Exclusionary Radical feminist » (TERF), des féministes radicales qui dénoncent l’oppression des femmes, dont elles exculent les transgenres femmes.
Les propos de Chimamanda Ngozi Adichie ont rouvert « la blessure » de plusieurs transgenres, celle de « ne pas être pleinement considérées comme des femmes. »
D’autres ressentent un sentiment profond de trahison de la part d’une porte voix féministe et transgenre. L’écrivaine nigériane avait ainsi pris la défense de personnes transgenres au Nigéria.
Raquel Willis, également écrivaine, et militante transgenre, a ainsi déclaré dans le magazine the Roots : « Chimamanda Ngozi Adichie a manipulé les personnes transgenres pour finalement les dépouiller de leur condition féminine ».
Dans un climat tendu, quelques jours après son interview sur Channel 4, Chimamanda Ngozi Adachie a tenu à clarifier ses propos avec un poste Facebook : « dès le début, je pense qu’il est tout à fait clair, qu’il n’y a aucun moyen de dire, que les femmes transgenres ne sont pas des femmes. Bien sûr, elles sont des femmes, mais en parlant du féminisme et du genre, il est important pour nous de reconnaître les différences dans l’expérience du genre. La diversité ne doit pas signifier la division. »
Une transgenre a rétorqué à Chimamanda Ngozi Adichie également sur Facebook : « Vous ne pouvez pas parler pour les femmes transgenres. Arrêtez de décrire une expérience de féminité que vous ne comprenez pas. »
Hadassah Egbedi, journaliste, a publié un article soutenant Chimamanda Ngozi Adichie dans Africa Venture. Dans l’éditorial, la journaliste défait la critique de l’internaute transgenre à l’encontre de Chimamanda Ngozi Adichie : « l’ironie d’une telle déclaration confirme les dires d’Adichie dans l’interview. Les femmes transgenres et les femmes nées femmes vivent des expériences différentes. Hadassah Egbedi ajoute : « Chimamanda Ngozi Adichie ne s’est pas réveillée militante transgenre, elle a répondu à la question d’une journaliste. »
Ces polémiques ne font cependant pas oublier que la conférence TED (ce mélange de show et de discours construit destiné à faire circuler les « idées qui valent la peine d’être diffusées ») de Chimamanda Ngozi Adichie, en 2013, « We Should All Be Feminists » « Nous devrions tous être féministes » fut un énorme succès, transcrit en un livre deux ans plus tard. Nulle doute que l’écrivaine à succès continuera à remuer le monde…
source: tv5monde.com
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